Chroniques
LA PLUME DU FAUCON
Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.
Ah! Le printemps! C’est la promesse des jours ensoleillés et de la chaleur qui revient. Mais au moment où on s’y attend le moins, une bordée de neige mêlée à du verglas vient briser l’annonce d’un temps plus clément. Notre moral tombe à terre et nos deux pieds trempent dans la sloche. Cette année, la dernière tempête est arrivée le 20 mars, sous forme d’un essai pamphlétaire signé Éric Duhaime : « La fin de l’homosexualité et le dernier gay ». Comme ces tempêtes qui se pointent au printemps, on s’en serait bien passé! Mais il faut savoir affronter les intempéries. J’ai donc lancé une invitation à l’animateur de radio et, cette fois-ci, il a accepté de me rencontrer pour répondre à mes questions.
Je le trouve dans un café désert à cette heure du jour. Seul sur sa banquette, il consulte son téléphone. Les commentaires pleuvent de partout depuis cinq jours: les journaux, les réseaux sociaux. Il ne croyait pas que sa sortie de placard ferait autant de bruit. Je le soupçonne de ne pas être honnête sur ce point. Il vient de donner une cinquantaine d’entrevues. Quiconque publie un livre rêve d’avoir autant de visibilité.
Éric ne voulait pas faire de coming out en 140 caractères sur Twitter. Il a plutôt écrit 140 pages dans un court essai que j’ai lu la veille de notre rencontre. Je ne ferai pas la critique de son livre ici. D’autres l’ont très bien fait. Si je l’ai rencontré, c’était avant tout pour faire un portrait de lui comme j’en ai fait plusieurs depuis quelques années dans Fugues avec des personnalités publiques qui ont accepté de jouer le jeu. Éric n’est pas ce qu’on peut appeler un livre ouvert. Il est plus prompt à lancer des flèches en direction du « lobby gai » que de parler de son propre vécu. N’empêche, Éric a été bon joueur en acceptant de me rencontrer. Il m’a accordé 90 minutes d’entrevue dans une ambiance, pour la plupart du temps, plutôt décontractée. Une personne différente de l’animateur de radio survolté que je connais.
FUGUES : Il y a un an et demi, je t’avais écrit pour te demander une entrevue, pour faire un portrait. Tu t’en rappelles?
ÉRIC : Non. Est-ce que je t’avais répondu?
FUGUES : Oui. Tu m’avais écrit que ça ne t’intéressait pas. Que tu ne ferais pas de coming out.
ÉRIC : Je me rappelle pas.
FUGUES : Pourquoi acceptes-tu aujourd’hui d’en parler publiquement?
ÉRIC : Il y a un peu moins d’un an, je buvais un negroni avec Marie-France Bazzo, dans le Mile-End. Marie-France m’a demandé alors si j’avais un projet de livre sur la table. J’avais rien, mais je lui ai dit que si j’avais à écrire quelque chose, je ferais une sortie comme elle (Marie-France avait écrit le papier « Je ne suis pas féministe, moi non plus »). Moi, je dirais que je suis gai mais que je ne m’associe pas à ceux qui parlent au nom des gais. J’ai vu une étincelle dans ses yeux et elle m’a dit : « Éric, faut que tu fasses ça! » J’ai parlé de ça à mon chum. Ça ne l’enthousiasmait pas pantoute. Quelques jours plus tard, je rencontre par hasard l’éditrice des Éditions de l’Homme qui me dit qu’elle aimerait me publier. C’était un signe. Pas longtemps après, je me suis réveillé en sursaut à 2h30 du matin. Je me suis installé à table et j’ai écrit 25 pages. La structure de cet essai était faite.
FUGUES : Pourquoi faire ta sortie en 2017? Pourquoi pas en 2014 ou même avant?
ÉRIC : C’est une bonne question. Je sais pas. Aucune idée. Je voulais pas faire de coming out. Par exemple, te donner une entrevue à ce moment, pour moi, ça aurait été inutile. On est rendus ailleurs. Je comprends que c’était une étape qui a été nécessaire dans les années 80-90 au Québec, mais en 2017, on s’en contrefout que tu couches avec un gars ou une fille.
FUGUES : Être homosexuel, ça se vit juste dans la chambre à coucher pour toi?
ÉRIC : Ben oui! Pour moi un homosexuel, c’est quelqu’un qui a des relations sexuelles avec une personne du même sexe.
FUGUES : Au resto, en tête à tête avec ton amoureux, c’est pas une façon de montrer ton homosexualité? Quand t’es invité avec ton chum au mariage d’une amie, c’est pas aussi une démonstration de ton homosexualité?
ÉRIC : Je pourrais y aller avec un ami. Ça veut pas dire que je couche avec.
FUGUES : Donc, c’est purement sexuel?
ÉRIC : Une orientation sexuelle, par définition c’est sexuel. Pour moi, la définition du dictionnaire, c’est la bonne. En fait, je suis contre le terme « homosexualité ». Je conteste l’utilisation de ce mot-là. J’espère qu’un jour, on va l’enterrer.
FUGUES : Pourquoi?
ÉRIC : Faut aller à l’origine du mot. Ce sont des psychiatres et des médecins qui ont créé ce mot pour essayer de nous dire que c’est une maladie mentale.
FUGUES : Cette définition date de longtemps…
ÉRIC : De 150 ans. Mais c’est pas beaucoup dans l’histoire de l’humanité.
FUGUES : Aujourd’hui, est-ce que le mot « homosexualité » a encore une connotation négative à ton avis?
ÉRIC : Il a été récupéré par l’Église catholique pour nous dire qu’il fallait prier pour s’en guérir. Y’a aucun des remèdes qui a marché, ni ceux des médecins, ni ceux de des curés. Toi, si tu baises avec des gars plus vieux ou plus jeunes ou avec des rouquins, y’a pas de mot pour décrire ça, pas plus que si tu baises avec des noirs. On a tous des préférences sexuelles et on n’a pas besoin d’étiquette. Le mot « homosexualité » nous a stigmatisés pendant longtemps et nous a exclus d’une certaine manière. Dans une société affranchie de la discrimination, t’as pus besoin de parler si c’est avec un gars ou une fille que t’as couché, on s’en câlice. Aimes-tu quelqu’un? As-tu des rapports satisfaisants? Eh bien tant mieux! Moi c’est de ce monde-là dont je rêve. Et au Québec, on est une des sociétés qui peut se permettre de dire qu’on est rendu là. Je suis un des plus grands critiques du modèle économique québécois. Mais dans cet essai, je fais le contraire, je louange le Québec. Si je voulais choisir une place au monde pour vivre en tant que gai, ça serait ici. Et parce que je dis ça, je me fais tomber dessus à bras raccourcis. Je sais pas si y’a plusieurs gais qui réalisent que, s’ils sortaient du Québec, ce serait l’enfer!
* * *
Ça fait dix minutes qu’on discute. Je décide à ce moment de réorienter la discussion pour en savoir plus sur lui. L’idée première étant de faire un portrait. J’apprends qu’il aura 48 ans le 15 avril prochain. Né à Montréal, il a surtout vécu son enfance à Laval, tout en faisant ses études à Terrebonne. Enfant unique, sa mère a été chauffeuse d’autobus et son père, ferblantier.
FUGUES : Quel genre de jeune t’étais?
ÉRIC : J’étais bon à l’école, j’avais beaucoup de facilité à apprendre. En classe, je m’ennuyais un peu. J’arrivais aux examens et je réussissais bien, même si j’écoutais pas. C’est pour ça que je perturbais, que je niaisais. Si j’étais jeune aujourd’hui, on me mettrait sur le Ritalin, mais comme on m’a pas diagnostiqué à ce moment-là, les profs me subissaient!
FUGUES : Aujourd’hui, en prends-tu?
ÉRIC : Non, je prends même pas de café car je suis trop hyper!
FUGUES : Enfant, tu te voyais faire quoi dans la vie?
ÉRIC : Je me voyais fonctionnaire ! (éclat de rire)
FUGUES : Ben voyons! Pas pompier, vétérinaire, chanteur? Tu voulais être fonctionnaire?
ÉRIC : La politique m’a toujours intéressé. J’ai trippé politique très jeune. À 12 ans, j’écoutais tous les jours à la télé la période des questions de l’Assemblée nationale. Je voulais changer de façon durable la société. Je suis idéaliste et je voulais participer à faire du changement et, à cet âge-là, j’avais compris que ça passait par la fonction publique. Mais le virage s’est fait pendant mes études universitaires en administration publique. Après ma maîtrise, je savais que jamais je ne travaillerais dans la fonction publique. Adulte, j’ai travaillé en politique pendant dix ans. Et là, ça fait 7-8 ans que je suis dans les médias.
FUGUES : Revenons à ta jeunesse : à quel moment te rappelles-tu avoir ressenti une attirance pour les gars?
ÉRIC : C’est intéressant. T’es pas le premier à me poser la question. J’essaye de me rappeler… Tu sais, les gens pensent que tu te réveilles un matin et que tu réalises que t’es gai, que t’as eu une épiphanie. C’est pas si simple que ça. Y’a des zones grises dans ta vie : des fois des avancées, des fois des reculs. Ça dépend des gens que tu rencontres et des relations sexuelles que tu as. Disons que ça s’est étiré sur des années, mais je sais pas à partir de quel moment.
FUGUES : T’as pas de souvenirs précis? Aucun gars sur qui t’avais un crush au secondaire?
ÉRIC : À l’adolescence, j’étais clairement dans une phase bisexuelle. Comme je suis idéaliste, je pensais que l’homosexualité et l’hétérosexualité, c’était dépassé, qu’on était rendus ailleurs, qu’on était capable d’aimer une personne et que ça n’avait pas rapport si elle avait une queue ou un vagin.
FUGUES : T’as eu des chums et des blondes au secondaire?
ÉRIC : Oui, des fois en parallèle et des fois en alternances. En fait, j’ai pas eu de chums au secondaire, avec les gars, c’était juste du cul.
FUGUES : Dans ton bouquin, tu racontes que ta mère a appris que t’étais gai en te surprenant avec un autre gars à la maison.
ÉRIC : Oui et je lui en ai reparlé le lendemain. Y’a pas eu de problème. Je vivais dans un milieu très progressiste, mes parents étaient hippies.
FUGUES : Et ton père, comment il a pris ça?
ÉRIC : Je ne le sais pas. Mes parents m’aiment inconditionnellement comme bien des parents, je pense. Ce qu’ils pensent vraiment, pour nous protéger, on ne le saura peut-être jamais. Je ne m’aventurerai pas à entrer dans sa tête. Il m’a toujours aimé et m’a toujours supporté.
FUGUES : Je suis curieux : leur as-tu fait lire ton manuscrit avant de le publier?
ÉRIC : Oui. D’ailleurs, mes parents, comme mon chum, ne voulaient pas que j’expose ça sur la place publique. Ils disaient : « les autres font pas ça, pourquoi tu le ferais? » Eux ont peur d’être victimes de représailles, j’imagine. Ou ils ont peur pour moi, que je me fasse attaquer. Au Québec, on a de la difficulté avec la polémique. On n’est pas en France où c’est institutionnalisé et où c’est normal de débattre. Ici, il faut penser pareil car on n’aime pas la chicane.
FUGUES : Dans ton livre, tu écris « gay » en anglais? Pourquoi?
ÉRIC : Parce que « gai » en français, ça peut avoir une double signification. Alors que lorsqu’on écrit « gay » avec un « y », c’est clair de quoi on parle. En France, ils utilisent le terme « gay ».
FUGUES : Oui, mais on est au Québec ici...
ÉRIC : Je sais, mais il y a beaucoup d’organismes au Québec qui l’utilisent avec un « y ». Et dans le titre de mon essai, je parle du « dernier gay », je ne voulais pas que ce soit interprété comme le « dernier heureux ».
FUGUES : Woo! Attends! Si t’avais écrit « gai », tu penses que les gens auraient lu « la fin de l’homosexualité et le dernier heureux » ?!?!
ÉRIC : En tout cas, là, il n’y a pas d’ambiguïté! Les intellos utilisent « gai » et les affaires un peu plus peuple, people, ça utilise « gay » ! C’est mon constat!
* * *
Dans la dédicace de son livre, quatre prénoms masculins : Hugo (son « premier chum sérieux » quand il était à l’université), Robbi (un Juif rencontré en Irak), Mark (un gars de la Colombie-Britannique) et François, son chum depuis six ans. Éric me demande de ne pas dévoiler son nom complet ni son métier.
FUGUES : Tu me disais que ton chum, François, t’a aussi demandé de ne pas publier cet essai. Ça a dû amener de bonnes discussions de couple?
ÉRIC : C’est sûr que ça a amené des discussions. Mais j’aurais pas publié mon livre s’il ne m’avait pas donné le GO. Un autre exemple : mon chum ne veut pas que je fasse de politique, alors je ne ferai jamais de politique, ça c’est clair!
FUGUES : C’est avec lui que tu regardes des matchs de la NFL, en sirotant ta bière, en te grattant la poche pis en rotant tes hot dogs, comme tu l’as si bien décrit dans ton livre?
ÉRIC : (rires) J’ai écrit que c’était un stéréotype… mais je le fais pareil! Je suis un malade de football, je l’amène même aux États-Unis voir des matchs de la NFL avec moi.
FUGUES : Est-ce qu’il aime ça?
ÉRIC : Pas pantoute!
FUGUES : La partie de ton livre qui m’a le plus fait sourire, ce sont les pages où tu décris avec minutie le fonctionnement d’un sauna gai. On dirait un guide pratique, un « Sauna pour les nuls »!
ÉRIC : Je voulais faire un chapitre historique. J’avais écrit quelque chose sur le mouvement gai au Québec mais je trouvais ça plate à lire. Alors je me suis dit que j’étais pour regarder l’évolution du mouvement gai au Québec à travers les yeux d’Yvon Pépin, ex-propriétaire de bars gais à Québec et aussi du sauna Hippocampe. C’est mon chapitre qui s’appelle « de marginal à normal ». M. Pépin a vécu toute l’évolution des 50 dernières années. Quand j’ai fait lire le livre à mes amis straights, ils ne comprenaient pas c’était quoi un sauna gai, n’ayant jamais mis les pieds là-dedans.
FUGUES : Tu spécifies dans ton livre que t’as jamais mis les pieds dans un sauna! Donc, se faire expliquer comment ça marche par quelqu’un qui n’est jamais allé, c’est un peu étrange…
ÉRIC : Je suis allé visiter les locaux physiquement car je représentais M. Pépin, alors propriétaire du sauna, dans un litige qui l’opposait à la ville de Québec. Je l’ai vu le sauna, mais pas pour aller baiser.
(…)
À Québec pour les gais, M. Pépin (qui a maintenant plus de 80 ans) n’est pas très connu, mais c’est quand même l’homme le plus important. Lui, il a vraiment été un pionnier. Il ouvrait des bars alors que les gars avaient pas le droit de se toucher sur le plancher de danse et que les policiers surveillaient ça.
FUGUES : M. Pépin a fait avancer des choses au Québec à sa façon. Y en a-t-il d’autres?
ÉRIC : Quand je nomme dans mon livre Daniel Pinard, Dany Turcotte et Michel Girouard, je dis qu’ils ont fait avancer, à leur façon, les mentalités au Québec. Pis ils le prennent mal. Mon livre ne les trashe pas, ils se sentent attaqués. Je dis qu’ils ont contribué à l’avancement des droits, mais je veux juste pas être dans leurs souliers.
FUGUES : J’ai l’impression que tu minimises le travail des activistes, du mouvement gai, en lisant ton essai.
ÉRIC : Quand j’écris dans mon livre que j’étais dans un parti ultraconservateur avec Stockwell Day et la droite religieuse, je pense que j’ai fait avancer les droits des gais plus que les activistes. Si tu parlais à Stockwell Day aujourd’hui, il te le dirait. À l’ADQ, c’était un parti de droite et c’est moi qui écrivais les politiques là-dessus et j’ai fait avancer mes idées beaucoup. Pas mal plus que si j’avais été à Québec Solidaire, parce qu’ils auraient pas eu besoin de moi pour faire avancer ces idées-là eux-autres.
FUGUES : Donc, on devrait te remercier pour les avancées en matière de droits des gais?
ÉRIC : Non, t’as pas à me dire merci. Je cherche pas à avoir des louanges. Je te dis juste que moi, quand j’arrivais avec mon chum à la résidence officielle du chef de l’opposition pour une réception ou n’importe quoi, je le présentais comme mon chum. On faisait pas de manifestation. En fait, les activistes gais étaient toujours contre nous autres. Moi ce dont je me rends compte et encore aujourd’hui avec la réaction du lobby gai, c’est que pour des activistes, l’homosexualité, c’est une idéologie, ce n’est plus une question d’orientation sexuelle. Et moi, j’adhère pas à cette idéologie-là. Dans Fugues cette semaine, vous écrivez que j’aurais pas dû faire ma sortie du placard, que le placard aurait dû rester fermé (lire article « Parfois je me dis qu’il y a des portes de placard qui devraient rester fermées... » de Denis-Daniel Boullé). Connais-tu beaucoup d’organismes gais qui disent à un gai qui fait son coming out de rester dans le placard? Ça va pas à sens contraire du discours officiel depuis un demi-siècle du lobby gai?
Penses-y! Pensais-tu voir ça un jour qu’un gars gai sorte du placard et que le lobby gai lui tombe dessus alors que ce sont des gars straights de Beauce qui prennent sa défense? Aurais-tu pensée vivre ça un jour? Ça démontre à quel point le lobby gai est déconnecté! Les gens qui m’ont défendu sont ceux qui, normalement sur ces enjeux-là, ne défendent pas les gais et ceux qui m’attaquent sont ceux qui normalement les défendent.
FUGUES : Es-tu en train de me dire que t’es une victime du lobby gai ?
ÉRIC : Ben non je ne suis pas une victime. Je le savais dans quoi je m’embarquais en publiant ce livre!
FUGUES : Autre sujet : fréquentes-tu les établissements gais?
ÉRIC : Plus jeune, je sortais davantage. J’allais un peu au Sky. J’aimais beaucoup le bar California. Mais là, ça doit faire dix ans que je ne suis pas sorti dans un bar dans le Village. Je l’écris dans le livre : y’a des gens qui vont dans la parade gaie, qui fréquentent le Village, des gens qui lisent le Fugues, des gens qui ont besoin d’un cocon gai et qui s’identifient à ça et qui s’activent là-dedans, pis c’est correct. Mais je pense que la majorité des gais n’est pas dans ce moule-là. On vit à l’extérieur de ça. Moi, je ne vais jamais dans le Village, j’ai jamais participé à une parade gaie. Ça doit faire 30 ans que je ne suis pas allé là.
FUGUES : Quoi? T’es déjà allé au défilé de la fierté?
ÉRIC : Je devais avoir autour de 19 ans. Je suis allé une fois ou deux parce que mes amis étaient là. Tu sais, on a le droit de ne pas vouloir se ghettoïser. La pleine acceptation c’est aussi de vivre comme des straights. Je le sais qu’il y en a qui me jugent et qui trouvent qu’on adopte trop le modèle des straights.
FUGUES : C’est quoi vivre « comme des straights » ?
ÉRIC : C’est de vivre comme tout le monde. On fréquente pas des établissements gais, on s’en fout.
(…) A-t-on vraiment besoin de diviser la société entre gais et hétéros?
FUGUES : C’est pas correct d’afficher notre différence? Homme/femme, jeune/vieux, ou encore selon la couleur de la peau ?
ÉRIC : Noir/blanc ou homme/femme, tu le vois et tu le sais. « Gai » tu le sais pas. C’est pas écrit dans ton front. Et y’a des gens qui veulent que ça reste comme ça.
FUGUES : Donc, c’est mieux de ne pas s’afficher.
ÉRIC : On peut s’afficher, si on le veut.
FUGUES : Je suis d’accord. Mais pour revendiquer et obtenir des droits en tant que minorité, ça a quand même nécessité que certaines personnes s’affichent et prennent la rue, non?
ÉRIC : C’était peut-être un passage obligé.
FUGUES : Juste « peut-être » un passage obligé?
ÉRIC : On aurait pu juste changer la loi pour permettre le mariage gai sans nommer les gais. D’ailleurs, y’a pas eu de grands soulèvements au Québec pour réclamer le mariage gai, comparativement en France ou aux États-Unis.
FUGUES : Ben, à chaque année y’a une « gay pride »!
ÉRIC : La « gay pride », c’est plus un party pour ben du monde!
FUGUES : Au début, il y avait beaucoup de revendications politiques.
ÉRIC : Oui, mais y’avait pas de monde! Aujourd’hui, c’est devenu un party! Dans le fond, ils confirment ma thèse : ils ont rangé le drapeau et ils ont sorti la boisson (rires).
FUGUES : Justement, j’avais noté cette phrase lue dans ton livre : « Rangeons drapeaux arc-en-ciel et pancartes à triangles roses». As-tu vraiment déjà tenu un drapeau arc-en-ciel dans tes mains?
ÉRIC : Non! À moins que j’étais ben saoul ou ben gelé. (rires)
FUGUES : Encore dans ton livre, tu critiques les porte-paroles de la communauté qui parlent publiquement de certains enjeux. Tu écris : «On ne m’a pourtant jamais demandé ce que je pense du mariage gay, des toilettes pour trans ou
de l’adoption chez les conjoints de même sexe ». Alors moi je vais te le demander ! Que penses-tu du mariage gai?
ÉRIC : J’ai rien contre. C’est un choix.
FUGUES : C’était correct de changer la loi pour permettre le mariage gai?
ÉRIC : Oui, c’est réglé. Oui, c’est une avancée.
FUGUES : L’adoption?
ÉRIC : Même chose.
FUGUES : T’as déjà pensé avoir des enfants?
ÉRIC : J’y ai pensé. Mais je suis rendu trop vieux. J’en avais parlé, juste avant ma quarantaine, avec mon chum de l’époque. Parce que pour moi, 40 ans, c’était ma barrière psychologique. Mais mon ex conjoint n’en voulait pas.
FUGUES : Et tu penses quoi des toilettes pour les trans?
ÉRIC : Je suis contre. Je comprends pas! Je pensais que les trans voulaient être acceptés comme des femmes ou des hommes à part entière et là, ils veulent se marginaliser pour une troisième toilette. Je comprends pas la logique.
FUGUES : Le monde est moins binaire que tu sembles le concevoir…
ÉRIC : À ce moment-là, faisons des toilettes unisexes comme dans nos maisons!
FUGUES : Et que penses-tu des changements de sexe payés par le gouvernement?
ÉRIC : C’est pas au gouvernement à payer ça. Moi je suis toujours contre les dépenses publiques. C’est rare que tu vas m’entendre dire que c’est OK pour le gouvernement de payer pour quelque chose.
FUGUES : J‘ouvre son livre à la page 4 puis, lui pointant le logo du Conseil des Arts du Canada et le remerciement à la SODEC, je dis : Et ton livre, il est subventionné, non?
ÉRIC : Moi, j’ai jamais reçu une cenne de subvention, c’est l’éditeur qui reçoit les subventions. Je suis contre. J’ai toujours dit à mes éditeurs que j’en voulais pas de subventions.
FUGUES : Je te cite encore : « Les progrès qu’on souhaitait réaliser sont arrivés. Ceux dont on rêve pour l’avenir arriveront sans qu’on ait à vouloir les rentrer dans la gorge de nos citoyens plus âgés. » Quels sont les progrès dont tu rêves?
ÉRIC : Quand t’es gai, tu veux que ce soit sky is the limit, que tout soit possible dans ta vie. Aujourd’hui en 2017, un gai qui vient au monde a toutes les possibilités devant lui, il peut faire tout ce qu’il veut dans la vie. Il veut des enfants? Il va avoir des enfants. Il veut devenir PDG d’Apple? Il peut le devenir. Même devenir la première ministre comme en Ontario.
Il faut juste laisser le temps au temps. Ça va arriver. Cassez-vous pas la tête.
FUGUES : Mais le travail n’est pas fini. Le combat contre l’homophobie est loin d’être terminé.
ÉRIC : Il va toujours avoir de l’homophobie. C’est comme dire on va éliminer les caves. C’est une bataille perdue d’avance, tu gagneras jamais là-dessus.
* * *
La tempête Duhaime a frappé le Québec le lundi 20 mars provoquant quelques sorties de route et des dérapages. Pendant quelques journées, ça virevoltait de tout bord, de tout côté. Mais les tempêtes de neige qui nous tombent dessus au printemps s’effacent rapidement et laissent peu de trace. Que retiendrons-nous de la tempête Duhaime une fois l’été arrivé?
« La fin de l’homosexualité et le dernier gay » par Éric Duhaime
Par Patrick Brunette
Sur: www.fugues.com
Je le trouve dans un café désert à cette heure du jour. Seul sur sa banquette, il consulte son téléphone. Les commentaires pleuvent de partout depuis cinq jours: les journaux, les réseaux sociaux. Il ne croyait pas que sa sortie de placard ferait autant de bruit. Je le soupçonne de ne pas être honnête sur ce point. Il vient de donner une cinquantaine d’entrevues. Quiconque publie un livre rêve d’avoir autant de visibilité.
Éric ne voulait pas faire de coming out en 140 caractères sur Twitter. Il a plutôt écrit 140 pages dans un court essai que j’ai lu la veille de notre rencontre. Je ne ferai pas la critique de son livre ici. D’autres l’ont très bien fait. Si je l’ai rencontré, c’était avant tout pour faire un portrait de lui comme j’en ai fait plusieurs depuis quelques années dans Fugues avec des personnalités publiques qui ont accepté de jouer le jeu. Éric n’est pas ce qu’on peut appeler un livre ouvert. Il est plus prompt à lancer des flèches en direction du « lobby gai » que de parler de son propre vécu. N’empêche, Éric a été bon joueur en acceptant de me rencontrer. Il m’a accordé 90 minutes d’entrevue dans une ambiance, pour la plupart du temps, plutôt décontractée. Une personne différente de l’animateur de radio survolté que je connais.
FUGUES : Il y a un an et demi, je t’avais écrit pour te demander une entrevue, pour faire un portrait. Tu t’en rappelles?
ÉRIC : Non. Est-ce que je t’avais répondu?
FUGUES : Oui. Tu m’avais écrit que ça ne t’intéressait pas. Que tu ne ferais pas de coming out.
ÉRIC : Je me rappelle pas.
FUGUES : Pourquoi acceptes-tu aujourd’hui d’en parler publiquement?
ÉRIC : Il y a un peu moins d’un an, je buvais un negroni avec Marie-France Bazzo, dans le Mile-End. Marie-France m’a demandé alors si j’avais un projet de livre sur la table. J’avais rien, mais je lui ai dit que si j’avais à écrire quelque chose, je ferais une sortie comme elle (Marie-France avait écrit le papier « Je ne suis pas féministe, moi non plus »). Moi, je dirais que je suis gai mais que je ne m’associe pas à ceux qui parlent au nom des gais. J’ai vu une étincelle dans ses yeux et elle m’a dit : « Éric, faut que tu fasses ça! » J’ai parlé de ça à mon chum. Ça ne l’enthousiasmait pas pantoute. Quelques jours plus tard, je rencontre par hasard l’éditrice des Éditions de l’Homme qui me dit qu’elle aimerait me publier. C’était un signe. Pas longtemps après, je me suis réveillé en sursaut à 2h30 du matin. Je me suis installé à table et j’ai écrit 25 pages. La structure de cet essai était faite.
FUGUES : Pourquoi faire ta sortie en 2017? Pourquoi pas en 2014 ou même avant?
ÉRIC : C’est une bonne question. Je sais pas. Aucune idée. Je voulais pas faire de coming out. Par exemple, te donner une entrevue à ce moment, pour moi, ça aurait été inutile. On est rendus ailleurs. Je comprends que c’était une étape qui a été nécessaire dans les années 80-90 au Québec, mais en 2017, on s’en contrefout que tu couches avec un gars ou une fille.
FUGUES : Être homosexuel, ça se vit juste dans la chambre à coucher pour toi?
ÉRIC : Ben oui! Pour moi un homosexuel, c’est quelqu’un qui a des relations sexuelles avec une personne du même sexe.
FUGUES : Au resto, en tête à tête avec ton amoureux, c’est pas une façon de montrer ton homosexualité? Quand t’es invité avec ton chum au mariage d’une amie, c’est pas aussi une démonstration de ton homosexualité?
ÉRIC : Je pourrais y aller avec un ami. Ça veut pas dire que je couche avec.
FUGUES : Donc, c’est purement sexuel?
ÉRIC : Une orientation sexuelle, par définition c’est sexuel. Pour moi, la définition du dictionnaire, c’est la bonne. En fait, je suis contre le terme « homosexualité ». Je conteste l’utilisation de ce mot-là. J’espère qu’un jour, on va l’enterrer.
FUGUES : Pourquoi?
ÉRIC : Faut aller à l’origine du mot. Ce sont des psychiatres et des médecins qui ont créé ce mot pour essayer de nous dire que c’est une maladie mentale.
FUGUES : Cette définition date de longtemps…
ÉRIC : De 150 ans. Mais c’est pas beaucoup dans l’histoire de l’humanité.
FUGUES : Aujourd’hui, est-ce que le mot « homosexualité » a encore une connotation négative à ton avis?
ÉRIC : Il a été récupéré par l’Église catholique pour nous dire qu’il fallait prier pour s’en guérir. Y’a aucun des remèdes qui a marché, ni ceux des médecins, ni ceux de des curés. Toi, si tu baises avec des gars plus vieux ou plus jeunes ou avec des rouquins, y’a pas de mot pour décrire ça, pas plus que si tu baises avec des noirs. On a tous des préférences sexuelles et on n’a pas besoin d’étiquette. Le mot « homosexualité » nous a stigmatisés pendant longtemps et nous a exclus d’une certaine manière. Dans une société affranchie de la discrimination, t’as pus besoin de parler si c’est avec un gars ou une fille que t’as couché, on s’en câlice. Aimes-tu quelqu’un? As-tu des rapports satisfaisants? Eh bien tant mieux! Moi c’est de ce monde-là dont je rêve. Et au Québec, on est une des sociétés qui peut se permettre de dire qu’on est rendu là. Je suis un des plus grands critiques du modèle économique québécois. Mais dans cet essai, je fais le contraire, je louange le Québec. Si je voulais choisir une place au monde pour vivre en tant que gai, ça serait ici. Et parce que je dis ça, je me fais tomber dessus à bras raccourcis. Je sais pas si y’a plusieurs gais qui réalisent que, s’ils sortaient du Québec, ce serait l’enfer!
* * *
Ça fait dix minutes qu’on discute. Je décide à ce moment de réorienter la discussion pour en savoir plus sur lui. L’idée première étant de faire un portrait. J’apprends qu’il aura 48 ans le 15 avril prochain. Né à Montréal, il a surtout vécu son enfance à Laval, tout en faisant ses études à Terrebonne. Enfant unique, sa mère a été chauffeuse d’autobus et son père, ferblantier.
FUGUES : Quel genre de jeune t’étais?
ÉRIC : J’étais bon à l’école, j’avais beaucoup de facilité à apprendre. En classe, je m’ennuyais un peu. J’arrivais aux examens et je réussissais bien, même si j’écoutais pas. C’est pour ça que je perturbais, que je niaisais. Si j’étais jeune aujourd’hui, on me mettrait sur le Ritalin, mais comme on m’a pas diagnostiqué à ce moment-là, les profs me subissaient!
FUGUES : Aujourd’hui, en prends-tu?
ÉRIC : Non, je prends même pas de café car je suis trop hyper!
FUGUES : Enfant, tu te voyais faire quoi dans la vie?
ÉRIC : Je me voyais fonctionnaire ! (éclat de rire)
FUGUES : Ben voyons! Pas pompier, vétérinaire, chanteur? Tu voulais être fonctionnaire?
ÉRIC : La politique m’a toujours intéressé. J’ai trippé politique très jeune. À 12 ans, j’écoutais tous les jours à la télé la période des questions de l’Assemblée nationale. Je voulais changer de façon durable la société. Je suis idéaliste et je voulais participer à faire du changement et, à cet âge-là, j’avais compris que ça passait par la fonction publique. Mais le virage s’est fait pendant mes études universitaires en administration publique. Après ma maîtrise, je savais que jamais je ne travaillerais dans la fonction publique. Adulte, j’ai travaillé en politique pendant dix ans. Et là, ça fait 7-8 ans que je suis dans les médias.
FUGUES : Revenons à ta jeunesse : à quel moment te rappelles-tu avoir ressenti une attirance pour les gars?
ÉRIC : C’est intéressant. T’es pas le premier à me poser la question. J’essaye de me rappeler… Tu sais, les gens pensent que tu te réveilles un matin et que tu réalises que t’es gai, que t’as eu une épiphanie. C’est pas si simple que ça. Y’a des zones grises dans ta vie : des fois des avancées, des fois des reculs. Ça dépend des gens que tu rencontres et des relations sexuelles que tu as. Disons que ça s’est étiré sur des années, mais je sais pas à partir de quel moment.
FUGUES : T’as pas de souvenirs précis? Aucun gars sur qui t’avais un crush au secondaire?
ÉRIC : À l’adolescence, j’étais clairement dans une phase bisexuelle. Comme je suis idéaliste, je pensais que l’homosexualité et l’hétérosexualité, c’était dépassé, qu’on était rendus ailleurs, qu’on était capable d’aimer une personne et que ça n’avait pas rapport si elle avait une queue ou un vagin.
FUGUES : T’as eu des chums et des blondes au secondaire?
ÉRIC : Oui, des fois en parallèle et des fois en alternances. En fait, j’ai pas eu de chums au secondaire, avec les gars, c’était juste du cul.
FUGUES : Dans ton bouquin, tu racontes que ta mère a appris que t’étais gai en te surprenant avec un autre gars à la maison.
ÉRIC : Oui et je lui en ai reparlé le lendemain. Y’a pas eu de problème. Je vivais dans un milieu très progressiste, mes parents étaient hippies.
FUGUES : Et ton père, comment il a pris ça?
ÉRIC : Je ne le sais pas. Mes parents m’aiment inconditionnellement comme bien des parents, je pense. Ce qu’ils pensent vraiment, pour nous protéger, on ne le saura peut-être jamais. Je ne m’aventurerai pas à entrer dans sa tête. Il m’a toujours aimé et m’a toujours supporté.
FUGUES : Je suis curieux : leur as-tu fait lire ton manuscrit avant de le publier?
ÉRIC : Oui. D’ailleurs, mes parents, comme mon chum, ne voulaient pas que j’expose ça sur la place publique. Ils disaient : « les autres font pas ça, pourquoi tu le ferais? » Eux ont peur d’être victimes de représailles, j’imagine. Ou ils ont peur pour moi, que je me fasse attaquer. Au Québec, on a de la difficulté avec la polémique. On n’est pas en France où c’est institutionnalisé et où c’est normal de débattre. Ici, il faut penser pareil car on n’aime pas la chicane.
FUGUES : Dans ton livre, tu écris « gay » en anglais? Pourquoi?
ÉRIC : Parce que « gai » en français, ça peut avoir une double signification. Alors que lorsqu’on écrit « gay » avec un « y », c’est clair de quoi on parle. En France, ils utilisent le terme « gay ».
FUGUES : Oui, mais on est au Québec ici...
ÉRIC : Je sais, mais il y a beaucoup d’organismes au Québec qui l’utilisent avec un « y ». Et dans le titre de mon essai, je parle du « dernier gay », je ne voulais pas que ce soit interprété comme le « dernier heureux ».
FUGUES : Woo! Attends! Si t’avais écrit « gai », tu penses que les gens auraient lu « la fin de l’homosexualité et le dernier heureux » ?!?!
ÉRIC : En tout cas, là, il n’y a pas d’ambiguïté! Les intellos utilisent « gai » et les affaires un peu plus peuple, people, ça utilise « gay » ! C’est mon constat!
* * *
Dans la dédicace de son livre, quatre prénoms masculins : Hugo (son « premier chum sérieux » quand il était à l’université), Robbi (un Juif rencontré en Irak), Mark (un gars de la Colombie-Britannique) et François, son chum depuis six ans. Éric me demande de ne pas dévoiler son nom complet ni son métier.
FUGUES : Tu me disais que ton chum, François, t’a aussi demandé de ne pas publier cet essai. Ça a dû amener de bonnes discussions de couple?
ÉRIC : C’est sûr que ça a amené des discussions. Mais j’aurais pas publié mon livre s’il ne m’avait pas donné le GO. Un autre exemple : mon chum ne veut pas que je fasse de politique, alors je ne ferai jamais de politique, ça c’est clair!
FUGUES : C’est avec lui que tu regardes des matchs de la NFL, en sirotant ta bière, en te grattant la poche pis en rotant tes hot dogs, comme tu l’as si bien décrit dans ton livre?
ÉRIC : (rires) J’ai écrit que c’était un stéréotype… mais je le fais pareil! Je suis un malade de football, je l’amène même aux États-Unis voir des matchs de la NFL avec moi.
FUGUES : Est-ce qu’il aime ça?
ÉRIC : Pas pantoute!
FUGUES : La partie de ton livre qui m’a le plus fait sourire, ce sont les pages où tu décris avec minutie le fonctionnement d’un sauna gai. On dirait un guide pratique, un « Sauna pour les nuls »!
ÉRIC : Je voulais faire un chapitre historique. J’avais écrit quelque chose sur le mouvement gai au Québec mais je trouvais ça plate à lire. Alors je me suis dit que j’étais pour regarder l’évolution du mouvement gai au Québec à travers les yeux d’Yvon Pépin, ex-propriétaire de bars gais à Québec et aussi du sauna Hippocampe. C’est mon chapitre qui s’appelle « de marginal à normal ». M. Pépin a vécu toute l’évolution des 50 dernières années. Quand j’ai fait lire le livre à mes amis straights, ils ne comprenaient pas c’était quoi un sauna gai, n’ayant jamais mis les pieds là-dedans.
FUGUES : Tu spécifies dans ton livre que t’as jamais mis les pieds dans un sauna! Donc, se faire expliquer comment ça marche par quelqu’un qui n’est jamais allé, c’est un peu étrange…
ÉRIC : Je suis allé visiter les locaux physiquement car je représentais M. Pépin, alors propriétaire du sauna, dans un litige qui l’opposait à la ville de Québec. Je l’ai vu le sauna, mais pas pour aller baiser.
(…)
À Québec pour les gais, M. Pépin (qui a maintenant plus de 80 ans) n’est pas très connu, mais c’est quand même l’homme le plus important. Lui, il a vraiment été un pionnier. Il ouvrait des bars alors que les gars avaient pas le droit de se toucher sur le plancher de danse et que les policiers surveillaient ça.
FUGUES : M. Pépin a fait avancer des choses au Québec à sa façon. Y en a-t-il d’autres?
ÉRIC : Quand je nomme dans mon livre Daniel Pinard, Dany Turcotte et Michel Girouard, je dis qu’ils ont fait avancer, à leur façon, les mentalités au Québec. Pis ils le prennent mal. Mon livre ne les trashe pas, ils se sentent attaqués. Je dis qu’ils ont contribué à l’avancement des droits, mais je veux juste pas être dans leurs souliers.
FUGUES : J’ai l’impression que tu minimises le travail des activistes, du mouvement gai, en lisant ton essai.
ÉRIC : Quand j’écris dans mon livre que j’étais dans un parti ultraconservateur avec Stockwell Day et la droite religieuse, je pense que j’ai fait avancer les droits des gais plus que les activistes. Si tu parlais à Stockwell Day aujourd’hui, il te le dirait. À l’ADQ, c’était un parti de droite et c’est moi qui écrivais les politiques là-dessus et j’ai fait avancer mes idées beaucoup. Pas mal plus que si j’avais été à Québec Solidaire, parce qu’ils auraient pas eu besoin de moi pour faire avancer ces idées-là eux-autres.
FUGUES : Donc, on devrait te remercier pour les avancées en matière de droits des gais?
ÉRIC : Non, t’as pas à me dire merci. Je cherche pas à avoir des louanges. Je te dis juste que moi, quand j’arrivais avec mon chum à la résidence officielle du chef de l’opposition pour une réception ou n’importe quoi, je le présentais comme mon chum. On faisait pas de manifestation. En fait, les activistes gais étaient toujours contre nous autres. Moi ce dont je me rends compte et encore aujourd’hui avec la réaction du lobby gai, c’est que pour des activistes, l’homosexualité, c’est une idéologie, ce n’est plus une question d’orientation sexuelle. Et moi, j’adhère pas à cette idéologie-là. Dans Fugues cette semaine, vous écrivez que j’aurais pas dû faire ma sortie du placard, que le placard aurait dû rester fermé (lire article « Parfois je me dis qu’il y a des portes de placard qui devraient rester fermées... » de Denis-Daniel Boullé). Connais-tu beaucoup d’organismes gais qui disent à un gai qui fait son coming out de rester dans le placard? Ça va pas à sens contraire du discours officiel depuis un demi-siècle du lobby gai?
Penses-y! Pensais-tu voir ça un jour qu’un gars gai sorte du placard et que le lobby gai lui tombe dessus alors que ce sont des gars straights de Beauce qui prennent sa défense? Aurais-tu pensée vivre ça un jour? Ça démontre à quel point le lobby gai est déconnecté! Les gens qui m’ont défendu sont ceux qui, normalement sur ces enjeux-là, ne défendent pas les gais et ceux qui m’attaquent sont ceux qui normalement les défendent.
FUGUES : Es-tu en train de me dire que t’es une victime du lobby gai ?
ÉRIC : Ben non je ne suis pas une victime. Je le savais dans quoi je m’embarquais en publiant ce livre!
FUGUES : Autre sujet : fréquentes-tu les établissements gais?
ÉRIC : Plus jeune, je sortais davantage. J’allais un peu au Sky. J’aimais beaucoup le bar California. Mais là, ça doit faire dix ans que je ne suis pas sorti dans un bar dans le Village. Je l’écris dans le livre : y’a des gens qui vont dans la parade gaie, qui fréquentent le Village, des gens qui lisent le Fugues, des gens qui ont besoin d’un cocon gai et qui s’identifient à ça et qui s’activent là-dedans, pis c’est correct. Mais je pense que la majorité des gais n’est pas dans ce moule-là. On vit à l’extérieur de ça. Moi, je ne vais jamais dans le Village, j’ai jamais participé à une parade gaie. Ça doit faire 30 ans que je ne suis pas allé là.
FUGUES : Quoi? T’es déjà allé au défilé de la fierté?
ÉRIC : Je devais avoir autour de 19 ans. Je suis allé une fois ou deux parce que mes amis étaient là. Tu sais, on a le droit de ne pas vouloir se ghettoïser. La pleine acceptation c’est aussi de vivre comme des straights. Je le sais qu’il y en a qui me jugent et qui trouvent qu’on adopte trop le modèle des straights.
FUGUES : C’est quoi vivre « comme des straights » ?
ÉRIC : C’est de vivre comme tout le monde. On fréquente pas des établissements gais, on s’en fout.
(…) A-t-on vraiment besoin de diviser la société entre gais et hétéros?
FUGUES : C’est pas correct d’afficher notre différence? Homme/femme, jeune/vieux, ou encore selon la couleur de la peau ?
ÉRIC : Noir/blanc ou homme/femme, tu le vois et tu le sais. « Gai » tu le sais pas. C’est pas écrit dans ton front. Et y’a des gens qui veulent que ça reste comme ça.
FUGUES : Donc, c’est mieux de ne pas s’afficher.
ÉRIC : On peut s’afficher, si on le veut.
FUGUES : Je suis d’accord. Mais pour revendiquer et obtenir des droits en tant que minorité, ça a quand même nécessité que certaines personnes s’affichent et prennent la rue, non?
ÉRIC : C’était peut-être un passage obligé.
FUGUES : Juste « peut-être » un passage obligé?
ÉRIC : On aurait pu juste changer la loi pour permettre le mariage gai sans nommer les gais. D’ailleurs, y’a pas eu de grands soulèvements au Québec pour réclamer le mariage gai, comparativement en France ou aux États-Unis.
FUGUES : Ben, à chaque année y’a une « gay pride »!
ÉRIC : La « gay pride », c’est plus un party pour ben du monde!
FUGUES : Au début, il y avait beaucoup de revendications politiques.
ÉRIC : Oui, mais y’avait pas de monde! Aujourd’hui, c’est devenu un party! Dans le fond, ils confirment ma thèse : ils ont rangé le drapeau et ils ont sorti la boisson (rires).
FUGUES : Justement, j’avais noté cette phrase lue dans ton livre : « Rangeons drapeaux arc-en-ciel et pancartes à triangles roses». As-tu vraiment déjà tenu un drapeau arc-en-ciel dans tes mains?
ÉRIC : Non! À moins que j’étais ben saoul ou ben gelé. (rires)
FUGUES : Encore dans ton livre, tu critiques les porte-paroles de la communauté qui parlent publiquement de certains enjeux. Tu écris : «On ne m’a pourtant jamais demandé ce que je pense du mariage gay, des toilettes pour trans ou
de l’adoption chez les conjoints de même sexe ». Alors moi je vais te le demander ! Que penses-tu du mariage gai?
ÉRIC : J’ai rien contre. C’est un choix.
FUGUES : C’était correct de changer la loi pour permettre le mariage gai?
ÉRIC : Oui, c’est réglé. Oui, c’est une avancée.
FUGUES : L’adoption?
ÉRIC : Même chose.
FUGUES : T’as déjà pensé avoir des enfants?
ÉRIC : J’y ai pensé. Mais je suis rendu trop vieux. J’en avais parlé, juste avant ma quarantaine, avec mon chum de l’époque. Parce que pour moi, 40 ans, c’était ma barrière psychologique. Mais mon ex conjoint n’en voulait pas.
FUGUES : Et tu penses quoi des toilettes pour les trans?
ÉRIC : Je suis contre. Je comprends pas! Je pensais que les trans voulaient être acceptés comme des femmes ou des hommes à part entière et là, ils veulent se marginaliser pour une troisième toilette. Je comprends pas la logique.
FUGUES : Le monde est moins binaire que tu sembles le concevoir…
ÉRIC : À ce moment-là, faisons des toilettes unisexes comme dans nos maisons!
FUGUES : Et que penses-tu des changements de sexe payés par le gouvernement?
ÉRIC : C’est pas au gouvernement à payer ça. Moi je suis toujours contre les dépenses publiques. C’est rare que tu vas m’entendre dire que c’est OK pour le gouvernement de payer pour quelque chose.
FUGUES : J‘ouvre son livre à la page 4 puis, lui pointant le logo du Conseil des Arts du Canada et le remerciement à la SODEC, je dis : Et ton livre, il est subventionné, non?
ÉRIC : Moi, j’ai jamais reçu une cenne de subvention, c’est l’éditeur qui reçoit les subventions. Je suis contre. J’ai toujours dit à mes éditeurs que j’en voulais pas de subventions.
FUGUES : Je te cite encore : « Les progrès qu’on souhaitait réaliser sont arrivés. Ceux dont on rêve pour l’avenir arriveront sans qu’on ait à vouloir les rentrer dans la gorge de nos citoyens plus âgés. » Quels sont les progrès dont tu rêves?
ÉRIC : Quand t’es gai, tu veux que ce soit sky is the limit, que tout soit possible dans ta vie. Aujourd’hui en 2017, un gai qui vient au monde a toutes les possibilités devant lui, il peut faire tout ce qu’il veut dans la vie. Il veut des enfants? Il va avoir des enfants. Il veut devenir PDG d’Apple? Il peut le devenir. Même devenir la première ministre comme en Ontario.
Il faut juste laisser le temps au temps. Ça va arriver. Cassez-vous pas la tête.
FUGUES : Mais le travail n’est pas fini. Le combat contre l’homophobie est loin d’être terminé.
ÉRIC : Il va toujours avoir de l’homophobie. C’est comme dire on va éliminer les caves. C’est une bataille perdue d’avance, tu gagneras jamais là-dessus.
* * *
La tempête Duhaime a frappé le Québec le lundi 20 mars provoquant quelques sorties de route et des dérapages. Pendant quelques journées, ça virevoltait de tout bord, de tout côté. Mais les tempêtes de neige qui nous tombent dessus au printemps s’effacent rapidement et laissent peu de trace. Que retiendrons-nous de la tempête Duhaime une fois l’été arrivé?
« La fin de l’homosexualité et le dernier gay » par Éric Duhaime
Par Patrick Brunette
Sur: www.fugues.com